Les aliments du cerveau - Partie IV : L’approche intégrée, anticorps, fatigue irréductible


Partie IV

L’approche intégrée

On a vu, avec les exemples précédents, que la fabrication à de taux appropriés des messagers cérébraux dépend d’une multitude de facteurs en relation les uns avec les autres. Et si, dans sa troisième étape, la nutrition cérébrale consistait à s’intéresser simplement aux précurseurs, on doit également aujourd’hui prendre en compte, comme on l’a vu, des éléments aussi divers que l’équilibre de la flore digestive, le terrain inflammatoire du sujet, son tabagisme, son utilisation de contraceptifs ou encore sa propension à suivre des régimes. On doit aussi prendre en compte d’autres facteurs que les seuls précurseurs. Par exemple, les constituants des membranes des neurones (le gainage des nerfs et la matière cérébrale), ou encore la disponibilité en énergie des muscles. Cette approche globale intégrée, la dernière étape de l’ère moderne, avait en fait été annoncée dès 1971 par un spécialiste de la neurobiologie, Jacques Taxi, qui écrivait en effet à cette époque : " De nombreux auteurs ont de la peine à admettre que des corps aussi largement répandus que les acides aminés puissent jouer un rôle aussi spécifique que celui de médiateurs. Mais d’autres substances sont aussi à considérer. On ne peut citer toutes celles dont le rôle a été envisagé. Parmi celles-ci évoquons surtout les prostaglandines (***), et l’histamine, dont le métabolisme dans le cerveau est caractérisé en particulier par un taux de renouvellement élevé. "
On a également redécouvert, en grande partie sous l’impulsion des travaux et des écrits de Jean Marie Bourre, le rôle très important des lipides, et plus particulièrement des acides gras essentiels, indispensables au développement du cerveau et désignés, à une époque, sous le terme générique de " vitamine F ", notamment sous la plume du Dr Catherine Kousmine. En effet, l’expression du plein potentiel mental, qui s’avère déterminante dans la plupart des sports dépend, sur le plan nutritionnel, de l’équilibre lipidique des membranes, autrement dit, de la présence à des taux appropriés des différentes familles de graisses. Cela passe par une diversité des apports, par le choix de modes de cuisson limitant la destruction de ces lipides, et par une aptitude intacte à transformer les précurseurs lipidique en dérivés actifs, en particulier les fameuses prostaglandines citées il y a 30 ans par Jacques Taxi comme étant des acteurs importants de la neurotransmission. Ces transformations dépendent d’enzymes. Parmi celles-ci, la plus importante se nomme la " delta 5- désaturase ". Or, son activité optimale dépend de la présence de nombreux cofacteurs micro-nutritionnels, tels que le magnésium, le fer, le zinc et diverses vitamines.
Tout déficit de l‘un de ceux-ci, situation d’une survenue très fréquente, va retentir sur l’activité de l‘enzyme et de là sur le taux des divers dérivés actifs. On sait ainsi qu’un manque en fer peut fort bien contribuer à une baisse de synthèse des bons acides gras membranaires. En outre, sans une bonne composition lipidique des membranes, les divers transporteurs ou composés qui, présents au niveau sanguin, en favorisent l’entrée dans les tissus ou l’action, vont moins facilement les reconnaître.

Le cerveau poubelle

Cette approche intégrée doit aussi tenir compte de la capacité de certains " déchets " ou messagers cellulaires, libérés dans des conditions défavorables, à modifier l’activité des neurones. Ces déchets pouvant apparaître en fonction du statut nutritionnel du sujet et de la façon dont l’activité sportive est pratiquée, on en déduit que le moindre déficit énergétique de la ration peut avoir un impact sur le cerveau. Et évidemment, c’est pire que tout dans le cas des régimes : " Quand je suis un régime l’hiver, je suis imbuvable ", confessait souvent Laurent Fignon, se souvenant de ces face-à-face avec son assiette de carottes râpées-jambon. Rien d’étonnant en fait…
L’approche globale du problème de la fatigue centrale doit tenir compte du fait que le tarissement du glycogène musculaire en cours de séance va favoriser l’accumulation de l’ammonium. Et lorsque son taux sanguin grimpe trop, il tend à gagner progressivement le cerveau et à s’y fixer. De là en découlent, en aigu, au terme d’un effort paroxystique, une incohérence verbale, des troubles de l’équilibre et de la motricité, qui régressent peu à peu à l’arrêt de l’effort. De manière chronique, chez des sujets ingérant trop peu de glucides, elle donne lieu à un état plus ou moins permanent de torpeur, à une baisse de motivation et à des difficultés de concentration. On peut remédier à cet état larvé par des démarches diététiques appropriées, permettant d’en limiter la montée et d’activer sa neutralisation. On juge indispensable d’adopter une ration suffisamment riche en glucides, avec au moins 6 g par kg de poids et par jour, voire davantage dans le contexte d’entraînement quotidiens voire biquotidiens. Il est également utile d’apporter en quantité appropriée des acides aminés essentiels, notamment lors des " fenêtres "- voir " Sport & Vie " n° 65). Ces deux procédures vont permettre de freiner la montée d’ammonium au bénéfice du cerveau.

Le cerveau anticorps

Derniers éléments à être entrés en piste l’an dernier, une série de messagers libérés lors de l’inflammation, notamment par les muscles placés dans une situation de surmenage chronique et nommés les " cytokines ". En effet, un déficit en glycogène musculaire n’occasionne pas qu’une montée d’ammonium et une acidose progressive. Lorsqu’on poursuit l’activité physique avec des stocks réduits ou qu’on entreprend une nouvelle séance avant d’avoir reconstitué ses réserves, on s’expose également à la survenue d’atteintes musculaires. Les tensions exercées dans ces conditions au niveau des fibre pour poursuivre coûte que coûte l’effort au même niveau d’intensité peuvent en effet léser certaines structures cellulaires. Leur répétition, surtout en présence d’ondes de choc- comme lors de la course à pied- va empêcher la guérison de ces petits traumatismes. Il va alors s’ensuivre une inflammation, d’abord locale (musculaire), puis généralisée. C’est à ce stade qu’on relève des stigmates biologiques de ces traumatismes. C’est à ce stade que les cytokines commencent à circuler partout dans notre organisme pour y jouer le rôle de messagers de l’inflammation et nommées les " interleukines ". L’une d’elles est plus particulièrement impliquée, il s’agit de l’IL-6.
Ces cytokines d’origine musculaire coordonnent la réponse inflammatoire de tout l’organisme, y compris au niveau du système nerveux central. A ce niveau, suite à leur libération et à leur entrée dans le cerveau, le comportement des sujets va changer. Ils deviennent plus apathiques, ont moins d’appétit, perdent du poids, subissent une chute de libido, connaissent des tendances dépressives, témoignent d’un désintérêt pour la vie quotidienne, et peuvent souffrir d’angoisse et des troubles du sommeil. Tout cela va peu à peu occasionner, match après match, effort après effort, une sensation de fatigue, de lassitude, très proche de celle décrite par les tennismen en début d’article.
On comprend alors qu’on ne peut pas envisager de répondre efficacement et durablement à une lassitude psychologique sans s’attarder sur la façon dont l’athlète s’alimente, et notamment élabore ses réserves de glycogène entre deux séances. L’approche intégrée associe donc ce qui se passe au niveau musculaire au métabolisme intime des neurones. Un manque de glycogène peut aussi bien qu’un déficit en sérotonine ou une surconsommation de " ramifiés " aboutir à une baisse des qualités mentales du sujet, et une analyse individuelle pourra seule déboucher sur une réponse nutritionnelle personnalisée appropriée.
Pour autant, n’oublions pas que la fatigue n’est jamais le fruit du hasard et que toute intervention nutritionnelle, fût-elle des plus pointues, ne doit pas occulter cet important message : le besoin imminent de prendre du repos. Ne perdons jamais de vue ce que signifie la survenue de la fatigue cérébrale. Le cerveau est en effet chargé d’assurer, finalement, la survie de l’organisme en réglant l’activité motrice sur son niveau de réserve énergétique et ses aptitudes physiques du moment. La survenue de la fatigue cérébrale peut alors être perçue comme un mécanisme de protection. De récentes conclusions, reprises par Yannick Guezennec, accréditent cette conception. La fatigue apparaît alors comme un mal nécessaire.
Et si la nutrition cérébrale peut aider à corrige des insuffisances fonctionnelles consécutives aux effets de cette pratique sportive, elle ne permettra pas de gommer les signaux d’alerte nécessaires ni de récupérer magiquement de déséquilibres profonds, consécutifs à une pratique excessive ou imprudente..

Une fatigue irréductible

La fatigue est-elle d’origine centrale ou musculaire ? Le débat a longuement partagé le monde scientifique. Aujourd’hui, cependant, il ne fait plus guère de doute : Il n’appartient à personne d’autre qu’à notre cerveau de dicter sa loi. Un récent article de Yannick Guezennec rappelle quelques évidences à ce sujet ; les premiers travaux probants sur ce thème furent réalisés en 1979 par l’équipe de Bigland-Ritchie, qui a montré que la stimulation électrique d’un muscle fatigué permettait de restaurer une partie, mas une partie seulement, du niveau de force initiale. La différence qui persistait entre les deux niveaux de force est attribuable à la fatigue cérébrale, le cerveau se montrant incapable, dans ces conditions, de générer une commande suffisante. Pus récemment, dans son laboratoire du CERMA, il pilota une expérience faisant appel à des singes. Il a procédé au recueil de l’activité électrique des neurones du cortex moteur par une implantation intracrânienne. Cela lui a permis de constater une diminution de l’activité électrique de ces cellules lors de la répétition jusqu’à la fatigue de la contraction du biceps. Il persiste donc bien une fatigue centrale irréductible. Elle existe aussi chez l’Homme ; la stimulation, chez lui, de cette zone par voie intracrânienne, grâce à des ondes électromagnétiques intenses, a permis de montrer qu’on pouvait restaurer une partie de l’activité musculaire. Cependant une partie de la fatigue reste réfractaire à ce type de stimulation.

Denis Riché pour Sport et Vie.

 

Consulter les autres parties du dossier :
- Partie I : L’ère médiévale
- Partie II : L’ère de l’hypoglycemie / L’ère des neurotransmetteurs
- Partie III : Fournir les précurseurs ne suffit plus / Voile et glucides font mauvais ménage / Le cas d’école du tryptophane


(***) : les prostaglandines, évoqués à plusieurs reprises dans ces colonnes, dérivent des deux familles d’acides gras essentiels, les " oméga 3 " et " oméga 6 ". Elles assurent de manière antagoniste le contrôle de diverses fonctions importantes, telles que l’immunité ou l’inflammation. Elles jouent aussi un rôle de messager cellulaire relayant l’action des hormones.

Nutri-Site

Accueil | Nutrition | Sport & Perf | Fitness & Muscu | Bien-Etre & Minceur | Mentions légales 2017©Nutri-site.com | Twitter NutriSiteFacebook Nutrisite