Interview Jean-Michel Asselin (Montagne) - 07/2004

Le 26 mars 2003, l'expédition Everest50 est partie fêter pour 2 mois l'Everest. Cette expé. française de 23 alpinistes et autant de sherpas veut célébrer le 50ème anniversaire de la première ascension du toit du monde par Edmund Hillary et de Tenzing Norgay en 1953.
C'est avec Jean-Michel Asselin, chef d'expédition, que nous abordons ici la gestion complexe de l’alimentation en haute altitude.


Lire aussi La Synchronie fantastique d 'Yves Exbrayat


Nutri-site : Où en est on de la diététique chez les montagnards?

Jean-Michel Asselin : Disons que ce n’est pas encore bien ancré dans les mentalités mais ça commence à venir.

Nutri-site : Sans parler de très haute altitude, la nutrition dans un milieu aussi exigeant, physiquement et mentalement, que la montagne peut-il jouer un rôle majeur dans la réussite sportive, non?

asselin jean-michelJean-Michel Asselin : La montagne demande des forces mais aussi de la volonté, peut être les montagnards pur et dur font d’abord confiance en leurs capacités intrinsèques avant de s’interroger réellement sur le contenu de leur assiette.
On va parler d’altitude, parce que la haute montagne c’est un phénomène court dans le temps et au niveau de la nutrition à part les « vivres » des courses, qui se réduisent dans la plupart des cas et pour beaucoup d’alpinistes, à une barre chocolatée traditionnelle.
A mon avis beaucoup de montagnards n’ont pas développés un très grand sens de la nutrition et comme l’effort n’est pas inhumain dans la plupart des cas et qu’ils ont la possibilité le soir venu de manger en refuge, la nutrition sportive n’est pas très présente dans les mentalités. Sinon il y a ceux qui font des grands enchaînements et là oui il sont très pointus car ils utilisent des produits plus élaborés comme les lyophilisés, et des poudres qui sont performants.
L’avantage aussi c’est qu’il y a un gain de poids non négligeable. Pour la plupart à mon avis, le terme "diététique sportive" se résume à ses fameuses " vivres de courses" ingurgités à l’effort et des plats de pâtes avalés la veille au soir.

Nutri-site : Pourtant il y a eu des écrits et des études faites pour appréhender au mieux les effets de l’altitude sur notre capacité digestif. Le milieu de la montagne échappe t’il à la règle d’une nutrition sportive élaborée?

Jean-Michel Asselin : Oui il y a des gens compétent qui ont écrit sur le sujet. Prenons le cas des boissons énergétiques qui ont vachement progressées ses dernières années. Tu peux te fournir dans un magasin, tu prends ta poudre et c’est partit. Mais pour la plupart l’hydratation en montagne cela reste pour beaucoup un thé dans lequel tu mets du sucre et une tranche de citron, c’est comme ça. Les produits énergétiques sont considérés pour réaliser des performances dans la tête des gens et peut être que pour la montagne on ne parle pas de performance brute!

Nutri-site : Pourtant les conditionnements ont évolués avec les poudres, gels et autres produits énergétiques de transport pratique. C’est le côté chimique qui rebute ce milieux ?

Jean-Michel Asselin : C’est pas un réflexe, faut pas chercher plus loin à mon avis. Par contre les grimpeurs sont beaucoup plus sensibles sur cet aspect là. De part leur régimes alimentaires parfois excessifs, certains deviennent même anorexiques. C’est sûr qu’ils sont beaucoup plus vigilants sur leur alimentation, je me souviens il y a 10 ans d’une pub pour les barres de céréales Grany faite par le meilleur grimpeur français de l’époque Patrick Edlinger. D’ailleurs elle est repassée récemment à la télé.

Nutri-site : A ton avis les progrès scientifiques enregistrés en matière de nutrition sportive vont t’ils sensibiliser la nouvelle génération d’alpinistes soucieux de la performance en haute montagne?

Jean-Michel Asselin : C’est possible ! Les montagnards ont des progrès à faire sur ce plan là en tout cas. Je pense qu’il faut porter l’attention des gens sur le fait que la bouffe c’est pas quelque chose d’anodin en très haute montagne et je reste persuadé que c’est un domaine très important, d’autant plus si tu envisages de séjourner en altitude et là c’est carrément incontournable. C’est dans l’état d’esprit des gens qu’il faut accentuer la sensibilisation.

Nutri-site : Comment se nourrit on en haute altitude ?

Jean-Michel Asselin : Tu peux rester très longtemps en montagne parfois des semaines pour t’acclimater. Le problème majeur en altitude c’est le problème du goût, J’ai remarqué que l’altitude modifie et augmente les sensations du sucré/salé et de l’acidité. De ce fait il se pose un problème concernant les lyophilisés. En temps normal ils génèrent déjà des goûts un peu étrange à mon avis, et en altitude cela prend des ampleurs bizarres, les aliments deviennent quasi-immangeables. La parade qui marche le mieux quand on choisit les aliments que l’on souhaite emporter dans un camps de base à plus de 5000m, c’est de faire le plus simple possible dans le goût car trop de saveur ou de colorant etc.. perturbe nos perceptions et rend les aliments sophistiqués dégueulasses. Je conseille les flocons de pomme de terre, les soupes en poudre, aux principaux repas et les barres de céréales en cours de marche c’est le top car tu as besoin de bouffer régulièrement. Les pâtes d’amandes natures, le lait concentré sucré, les fruits secs et oléagineux sont de bons produits également. En fait il faut faire simple avec le moins de produits chimiques possibles, pour éviter les arrières goûts. Pour ma part lors de l’expé Everest 50* nous avons utilisé les produits de la marque Gerblé qui sont des produits dont les tonalités de goût sont simples et relativement bonnes.

Nutri-site : Comment fait ton pour s’hydrater dans un camps de base ?

Jean-Michel Asselin : L’hydratation demeure le gros problème de l’altitude. Plus l’altitude s’élève plus la pression barométrique de l’air diminue et la saturation de l’air en eau s’abaisse. En altitude l’air est plus sec et les échanges gazeux des poumons augmentent à cause du manque d’o2, il faut boire d’avantage en altitude pour un même effort. En clair tu es constamment déshydraté. Il faut transporter cette flotte donc ça se limite à 2 bidons par journée de marche d’approche dans le meilleur des cas, c’est un gros problème. Le soir au camps de base, il n’y a plus de soucis, enfin dû moins pour les camps dit améliorés et équipés de cuisine et d’une tente messe. Les sherpas peuvent te faire bouillir des litres de flotte en fondant de la neige non souillée et en utilisant des pastilles micropures, Nous avions toujours une théière ou des boissons énergétiques sur les tables à disposition des grimpeurs. Cependant l’eau est prise dans des gouilles quand l’eau dégèle depuis les camps de bases. Il arrive souvent des problèmes d'insalubrité sanitaire de type gastro ou diarrhée. Au Népal si tu n’apportes pas toi même ta boisson énergétique tu tombes vite sur du Tang ou des merdiers chimiques comme ça. Mais c’est clair qu’en journée à l’effort tu bois très peu, c’est catastrophique, je pense même que ça esquinte les mecs, c’est aussi un facteur limitant de la réussite de l’objectif fixé, c’est clair !

Nutri-site : Pour l’expé Everest 50, qui a préparé les ravitaillements ?

Jean-Michel Asselin : C’est moi mais j’ai fait au feeling. A chaque expé que je fais je calcule le nombre de jours passés en haute altitude ce qui est en réalité très faible dans une expé. Le jour que tu passes à grimper sur une expé/ est ridicule, en faite cela représente grosso modo 14 jours sur deux mois de présence effective. Tous les matins chacun préparait son sac du jour selon les goûts et en fonction de l’effort à accomplir. Lors d’une halte à Katmandou on à mis de l’ argent en commun pour s’acheter des soupes riches en sels minéraux et légères et on à pas regretté notre choix. Mais c’est vrai que je n’ai pas au départ de notion de calorie. Je renvoyait tout le monde face à ses responsabilités et chacun était libre de piocher ce dont il avait besoin dans les réserves de l’expé.

Nutri-site : Que peux t’on constater au retour d’une telle expé ?

Jean-Michel Asselin : Que Tout le monde à maigrit sauf moi ! je pense d’une part à cause du manque d’eau et combiné à l’altitude qui coupe aussi la faim. A mon avis ce n’est pas normal de perdre trop de poids durant une éxpé. de ce genre. Moi je n’ai pas perdu grand chose et d’ailleurs ça me fait chier ! Depuis quelques expé. je perds tout au plus 3 kilos. J’aimerais bien perdre un peu plus du poids mais à chaque fois que je reviens c’est le désespoir à ce niveau là, rien de perdu ! J’ai toujours mes petits bourrelets bien en place !

Nutri-site : A quel niveau considères tu la nourriture dans la bonne marche d’une expé ?

Jean-Michel Asselin : C’est en tout cas plus important qu’on ne le croit et ce pour plusieurs raisons. D’une part sur le plan de la résistance à l’effort il faut pouvoir « tenir le coup » mais c’est vrai aussi que la nourriture en expédition constitue au bout d’une semaine le premier point d’accrochage entre les gens, c’est très curieux. L’alimentation devient le centre des conversations et commence à créer des tensions entre les gens. J’ai vu des expé ou les mecs quasiment se taper dessus à table pour des histoires de bouffe, parce que un tel se sert plus qu’un autre ou que la boite à bonbons était fermé, c’est terrible !

Nutri-site : Comment gérer les crises à ce moment là ?

Jean-Michel Asselin : Il faut crever l’abcès de suite mais c’est en amont qu’il faut prévoir ce type de dérapages. Celui qui se charge des ravitaillements aura pris soin d’emmener des aliments qui sont ludiques pour casser la monotonie des plats fades et répétés. Un conseil : emportez avec vous du saucisson ou du jambon fumé et à la limite une bouteille de vin ou de la bière et même du coca, cela permettra de diminuer les tensions. Le coca est très demandé en expé non seulement pour le goût mais aussi pour réduire les problèmes digestifs bénin qui peuvent dégénérer. Fondamentalement on à bien mangé mais tu as intérêt en expé de sortir quelque chose qui change du quotidien, comme un trésor sortit du chapeau. Ca met du piquant dans une ambiance pesante ... Lorsque les sherpas faisaient à manger et je n’hésitais pas à mettre mon grain de sel dans leurs tambouilles et je changeais un détail juste pour agrémenter les plats. Par exemple rajouter de l’ail ou du curry, sur un certain plan c’est un détail mais à ce niveau là c'est important ! Le moral est important en expé. surtout lorsque le temps se gâte et si tu arrives déjà à varier un peu les plats cela change beaucoup de chose dans l’ambiance d’un groupe. Cela sert aussi à motiver les gars et à leur redonner la pêche.

Nutri-site : Avez-vous eu assez à manger pour couvrir l’expé. et ses imprévus !

Jean-Michel Asselin : On à pas manqué c’est déjà un bon point ! On avait des cuistots très valables qui se sont battus tant bien que mal avec des conditions limitées. On à eu quand même quelques gastro incontournables mais qui peuvent vite dégénérer à cette altitude. On les a traité sous perfusions rapidement nous avions une assistance médical top ! Le point fort de notre éxpé, c’est que l’on avait un four à pain amené et porté par les sherpas eux même. Alors là crois moi quand tu as mangé du riz pendant une semaine et que tu sens la bonne odeur de pain, c’est du bonheur. Bon c’était pas vraiment du pain comme on a l’habitude d’en manger chez nous en France, mais on en était pas loin, ça ressemblait plutôt à une sorte de pain brioché, c’était géant !

Nutri-site : En altitude c’est plutôt salé ou sucré ?

Jean-Michel Asselin : Le salé se dégage sur le long terme.

Nutri-site : Au delà du camp de base comment gère t’on la nourriture ?

Jean-Michel Asselin : Au delà du camp de base tu tombes dans le lyophilisé obligatoirement mais aussi beaucoup d’aliments en poudre qui t’apportes sels minéraux et liquides (soupe) flocons de pomme de terre. Il est inévitable que passé 7 000 m le régime alimentaire va vite se dégrader. Tu ne passes pas non plus énormément de temps au dessus de cette altitude, c’est furtif, mais il faut quand même bien gérer ce délicat transit. Personnellement je soignais toujours mes petits dèj et prenais des compotes en tube et du café. Le café c’est super en altitude car c’est bon pour ton cœur, cela te donne un coup de fouet cardiaque. On sait que le cœur au dessus d’une certaine altitude bat plus lentement plusieurs médecins me l’avaient conseillé et je sais que c’est bien pour moi. Le seul problème dans ces conditions c’est justement le conditionnement, il faut bien préparer ton sac. Moi je calculais le nombre de jours que je comptais passer dehors et je préparais en fonction puis je répartissais minutieusement dans mon sac.

Nutri-site : Les sherpas se nourrissent-ils comme vous ?

Jean-Michel Asselin : Ils mangent quelques barres de céréales mais la similitude s’arrête là. En altitude ils mangent ce qu’il appellent le « strong food for sherpa » essentiellement composé de riz/piment et d’ail. Ils ne sortent pas de ça et je peux te dire pour en y avoir goûté que ç’est plus que strong! Au col sud (8 500m) si ils ne mangent pas leur préparation traditionnelle, ils sont malades. En y réfléchissant c’est loin d’être bête finalement, car l’ail, d’après ce que je sais est un fluidifiant sanguin intéressant. Mais bon faut pouvoir l’avaler ... Ils se font aussi du thé salé au beurre qui est une émulsion de thé qu’ils salent et auquel ils rajoutent du beurre. Une fois baratté, comme si tu faisais du beurre avec du lait. Tu peux déguster ce mélange à la couleur café au lait mais avec un goût qui s’apparente plus à du bouillon de cube. J’en ai souvent bu et ça hydrate vraiment !

Nutri-site : Tu as déjà eu des « coups de moins bien » ?

Jean-Michel Asselin : La déshydratation c’est le pire qu’il me soit arrivé. J’ai toujours dans mes poches des bonbons, histoire de faire passer la sensation de soif, mais tu as souvent des vraies soif celles qui te mettent la gueule en feu, celles qui te poussent à faire n’importe quoi, genre bouffer de la neige ... Tu fais vraiment des conneries et ça peut aller loin, c’est ça le pire que j’ai vécu et pas qu’une fois d’ailleurs.

Nutri-site : Au delà du camp de base comment s’hydrater ?

Jean-Michel Asselin : Le gros soucis pour t’hydrater quand tu grimpes dans des conditions « spéciales » c’est que ton réchaud met 1 heure pour chauffer l’eau !!! Quand il fait –20°c dans la tente je te laisse imaginer comme ça refroidit vite. La pression fait bouillir ton eau très rapidement et ton réchaud à un rendement thermique minable, il faut que tu sortes prendre la neige. Tu y passes du temps et tu as intérêt à bien t’organiser... Le mieux, dés que tu installes ta tente, est de mettre une bonne quantité de neige dans un sac plastique poubelle. Et plus besoin de sortir ! Evite aussi de trop brasser quand ton eau est sur le point d’être prête car à coup sûr dans l’espace exigu la casserole termine sur les duvets, et là c’est la cata !

* L’Expédition française « Everest 50 » à permis à 3 français, Patrick Bérhault Eric Loiseau (navigateur) et Nicolas Mugnier de vaincre le vendredi 23 mai les pentes de la plus haute montagne du monde, l’Everest 8850m => Revivez toute l’expé Everest 50 sur ce lien

 ©Crédits photos : Glénat / Everest 50, R. Garrigue

Accueil | Nutrition | Sport & Perf | Fitness & Muscu | Bien-Etre & Minceur | Mentions légales 2017©Nutri-site.com | Twitter NutriSiteFacebook Nutrisite