Au-delà de son statut de précurseur, cet acide aminé essentiel se situe à un carrefour métabolique. Apporté par les peptides alimentaires et les protéines, il peut suivre plusieurs voies de transformation :
* Intégration à un complexe enzymatique du foie nommé " Cytochrome P 450 ", chargé de prendre en charge tous les " toxiques " entrant dans l’organisme. Celui-ci peut voir son activité s’élever dans diverses situations : prise d’alcool, de tabac, de médicaments, de café ou de thé et bien sûr de contraceptifs oraux. Cette mobilisation peut influer défavorablement sur la disponibilité du tryptophane pour les autres tissus. Il n’est pas rare qu’un athlète, a fortiori une sportive, voit sa disponibilité en tryptophane chuter pour l’une de ces raisons. A ce niveau, on peut comparer ce premier prélèvement à la TVA de l’organisme.
- Une possible utilisation par une flore digestive pathogène ou déséquilibrée. Cette situation de " dysmicrobisme ", fréquente dans le milieu sportif, peut résulter de la conjonction de plusieurs facteurs aussi bien que de leur présence isolée : stress psychologique, déshydratation, acidose, prise d’anti-inflammatoires, infections digestives (via des bidons contaminés, par exemple) prise d’antibiotiques. Cette voie " parasite " concernerait une fraction non négligeable de sportives. C’est cette fois la contribution à l’URSSAF qu’il faut déduire.
- L’intégration à de nouvelles chaînes protéiques. Il y apparaît cependant comme l’un des acides aminés les moins représentés.
- Son utilisation préférentielle, en cas d’inflammation, par l’enzyme " indole-amine 2, 3- dioxygenase ". Cette voie est très souvent activée chez les sportifs, notamment en cas de prise chronique d’anti-inflammatoires, pratique de plus en plus répandue, comme divers travaux l’ont mis en exergue au cours des dix dernières années- notamment ceux de Lucille Smith (12). Avec cette nouvelle ponction, l’impôt révolutionnaire du FLNC, la disponibilité du tryptophane chute donc à un niveau qui peut s’avérer insuffisant.
Par contre, la compétition tourne en faveur du tryptophane lorsque des événements physiologiques conduisent à la mobilisation accrue des autres acides aminés, par exemple les " ramifiés ". Cela survient par exemple lors de l’exercice ou lorsqu’on avale des glucides. Ceux-ci, favorisant la libération d’insuline, vont entraîner l’entrée dans les tissus de certains acides aminés, notamment les " ramifiés ".
Bénéfique en récupération (voir " Sport & Vie " n° 66), ce processus aboutit par contre à un retournement des forces en présence au niveau cérébral, le tryptophane devenant alors plus abondant. C’est exactement ce qui s’est produit avec les rats de Wurtman, et explique que la propension à manger sucré sans faim puisse corriger un manque de disponibilité en tryptophane au risque, à terme, de grossir. On considère même, désormais, que les boulimies sucrées représentent l’un des meilleurs symptômes de déficit en sérotonine.
La chute chronique du taux de sérotonine au repos correspond donc à un état de fatigue centrale. Curieusement, le même état de lassitude correspond à une situation inverse : on sait ainsi qu’une montée brusque du taux de sérotonine cérébral à l’effort expliquait les épisodes de fatigue centrale, étudiés et décrits par Eric Newsholme chez des adeptes des exercices de longue durée. Pour l’expliquer, il met en avant deux phénomènes.
D’une part, il note que l’utilisation des " ramifiés " par les muscles lorsque les réserve de glycogène s’épuisent, augmente la disponibilité en tryptophane au niveau central, la concurrence à ce niveau avec les autres acides aminés tournant soudainement en sa faveur.
D’autre part, on sait qu’au cours d’efforts de plus 60 mn l’albumine, qui normalement transporte le tryptophane dans le plasma, l’a relâché dans le sang pour fixer les acides gras qu’elle va acheminer ensuite vers les muscles actifs. Ces deux adaptations conduisent à une augmentation brutale de la disponibilité en tryptophane dans les neurones. La formation de sérotonine s’accélère alors, ce qui expliquerait la lassitude soudaine ressentie par les sportif dans ce contexte. Pour prévenir cette prédominance soudaine de l’axe sérotoninergique, la prise régulière de glucides en cours d’effort semble indispensable, puisqu’elle modère à la fois la mobilisation des acides gras et la captation des " ramifiés " au niveau musculaire. On voit donc que selon le contexte, activité ou repos, les glucides exercent sur le taux de sérotonine des effets opposés. C’est via l’insuline, libérée au repos mais peu sollicitée à l’effort en présence de glucides, que les différences se dessinent.
Les relations entre alimentation, exercice et activités mentales peuvent également s’envisager avec les catécholamines, c’est-à-dire la dopamine, l’adrénaline et la noradrénaline, qui toutes dérivent d’un acide aminé essentiel, la tyrosine. Lors d’un stress mal géré, ou vécu en situation de fatigue, lorsque le sujet suit un régime pauvre en glucides ou lorsqu’il a épuisé son glycogène, il va plus facilement mettre en œuvre la " néoglucogénèse ", c’est-à-dire la fabrication de glucose à partir de constituants non glucidiques.
Or, la tyrosine fait partie des substrats préférentiels de cette voie " annexe " d’énergie. Dans ce contexte, on note une activation d’un enzyme du foie, qui va la dégrader pour en faire un carburant d’appoint. L’enchaînement de rencontres et d’efforts peut y contribuer. Dans ce cas, moins de tyrosine va se transformer en catécholamines : un émoussement de la motivation et une altération de la prise de décision peuvent s’ensuivre. Cela ne vous rappelle rien ?
Denis Riché pour Sport et Vie.
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