Les aliments du cerveau - Partie II : l’hypoglycemie et neurotransmetteurs

Partie II

L’ère de l’hypoglycemie

La base de ces concepts médiévaux paraît certes plutôt ridicule, aujourd’hui, en regard des connaissances scientifiques. Cependant, l’idée de nos ancêtres selon laquelle le contenu de notre assiette pourrait influencer notre humeur et notre esprit ne s’est jamais vraiment vue remise en cause. La première étape de l’ère moderne se situe au milieu du XXème siècle, avec les investigations scientifiques menées systématiquement dans le domaine de la nutrition, et qui ont principalement mis l’accent sur les processus de production d’énergie et le métabolisme, c’est-à-dire l’ensemble des réactions survenant dans nos cellules, et assurant le maintien en vie de l’organisme.
C’est dans ce contexte que la première vague " moderne " de la " psychonutrition " s’est intéressée à la façon dont le cerveau utilisait l’énergie requise pour son travail, et au type de carburant qu’il privilégiait. On en a tiré des informations fondamentales, aujourd’hui encore prises en compte ; ainsi, on a pu établir que l’organisme humain consommait 10 grammes de glucose par heure, dont 4 pour le seul cerveau. Ce glucose sanguin provenait des réserves hépatiques (100 g tout au plus, ce qui correspond à une autonomie théorique de 10 heures, soit une soirée télé et une nuit de sommeil. Certes, comptent aussi les apports réalisés au cours des repas et la transformation de certains autres constituants (" néoglucogénèse "). Mais quoiqu’il en soit, il est assez vite apparu que la disponibilité en glucose n’était pas illimitée, et que l’approvisionnement du cerveau menaçait, dans certaines conditions, de se trouver compromis, par exemple lors d’un exercice physique ou lorsque le dernier repas a eu lieu depuis de nombreuses heures. On a alors présenté l’hypoglycémie comme le danger numéro 1 pour le cerveau, et l’explication universelle à tous les épisodes de fatigue cérébrale.
D'où vient cette idée du rôle essentiel de la glycémie dans les performances cérébrales? D’anciens travaux ; en effet, c'est dès 1924 que LEVINE et ses collaborateurs ont montré que, chez les marathoniens, il existait une étroite relation entre la glycémie mesurée à l'arrivée et la sensation de bien-être (toute relative au terme d'une telle épreuve!), les valeurs les plus hautes s'accompagnant des sensations les moins désagréables. Dans ces travaux princeps, il n'était pas mentionné d'une quelconque façon, par contre, si les athlètes se sentant "le moins bien" à l'arrivée avaient réussi ou raté leur course, ce qui nous semble quand même l'élément le plus important dans cette histoire. Les travaux publiés par la suite ont permis de préciser ces observations. Certaines défaillances résultent d’une chute de la disponibilité du glucose au niveau cérébral. Mais pas toutes. D’autre part, la pénurie de glucose dans les neurones peut correspondre, selon les individus, à des niveaux différents de glycémie. Cela étant, on considère désormais que la plupart des défaillances soudaines survenant à l’effort, associées à une lassitude mentale et à une soudaine torpeur et une faim tenace, résultent d’hypoglycémies. C’est-à-dire, en général, d’erreurs flagrantes de ravitaillement.

Doit-on envisager la même explication aux problèmes de lassitude chronique, aux défaillances du mental similaires à celles décrites par les tennismen ? Une idée largement répandue veut que cette lassitude psychologique pourrait elle aussi régresser avec un apport de glucides suffisant. Combien de personnes, d’ailleurs, masquent leur lassitude par la satisfaction d’un besoin irrépressible de sucré ?
Peut-on dire pour autant, en dépit de ces évidences, que ces envies de chocolat, de viennoiseries, qui frappent vers 17 heures et qui, une fois satisfaite, vous laissent revigorés, résultent d’un simple déficit cérébral en sucre ? En fait, grâce aux connaissances acquises depuis une trentaine d’années dans le domaine de la chimie cérébrale, l’intérêt de l’apport glucidique n’est plus seulement envisagé à travers son rôle purement énergétique. Certains scientifiques ont pu en effet constater la relation existant entre l’apport de glucides et la synthèse de certains messagers cérébraux impliqués dans la vigilance, le dynamisme ou le comportement alimentaire. En fait, si on garde actuellement les sucres sur le devant de la scène, c’est pour introduire la seconde étape de l’ère moderne, celle des " neurotransmetteurs ".

(*) : On sait depuis qu'en l'absence de tout ravitaillement l'hypoglycémie survient, lors d’un exercice, au bout d'environ 150 mn d'effort, délai pouvant toutefois se trouver écourté dans le contexte d'un fort stress émotionnel.

L’ère des neurotransmetteurs

La notion de médiateur chimique de la transmission nerveuse a été imaginée avant même qu’on identifie ceux-ci dans notre organisme (13). En effet, on avait supposé dès le début du XX ème siècle, puis établi à partir de 1920 avec les travaux de Loewi et Cannon que les fibres du système nerveux autonome contrôlaient les contractions des muscles lisses par l’intermédiaire de deux substances antagonistes dont l’une, l’adrénaline, ne sera identifié qu’en 1946. Celle-ci et la sérotonine se virent bientôt proposées comme médiateurs du système nerveux central. L’attention s’est plus particulièrement portée sur elles à la suite des progrès des méthodes biochimiques qui ont permis, à partir de 1954, de déceler leur présence en quantités importantes dans certaines régions du cerveau. En 1962, une méthode mise au point par Falck et Hillarp a permis, grâce à une technique de luminescence très ingénieuse, de caractériser les neurones et les fibres où elles se trouvaient. Le rôle joué par ces substances dans le fonctionnement du cerveau s’est avéré capital, et les drogues agissant sur leur métabolisme exercent des effets si importants qu’elles ont déjà ouvert un champ thérapeutique très parcouru.
C’est dans ce contexte qu’on a commencé, dans la foulée de Robert Wurtman au début des années 70, d’envisager les relations entre alimentation et fonctions cérébrales sous un nouvel angle. Celui des précurseurs, c’est-à-dire des molécules fournies par notre ration et dont la transformation aboutit à l’apparition de neurotransmetteurs. Depuis 1971, année où furent menés les premiers travaux menés qui, sur le rat, ont montré que l’alimentation pouvait influer la synthèse des neurotransmetteurs, les connaissances se sont accumulées. Comme ce scientifique l’expliquait dans un article de synthèse paru en 1991 : " Les modifications de la neurotransmission produites par l’alimentation et l’exercice peuvent affecter l’ensemble des comportements et des fonctions physiologiques qui dépendent de la présence des précurseurs.
Il existe donc en théorie une " mauvaise " manière de s’alimenter, qui peut affecter les performances en rendant l’athlète léthargique, en diminuant son aptitude à soutenir son attention, ou en ralentissant l’influx nerveux. A l’inverse, il me paraît possible d’imaginer des mélanges de nutriments capables d’améliorer certaines fonctions cérébrales, comme si les aliments qui les fournissaient étaient alors des drogues. " Dix ans plus tard, on est passé du stade des spéculations aux applications pratiques. Que sait-on en effet aujourd’hui sur cette question ?

Denis Riché pour Sport et Vie.

 


Consulter les autres parties du dossier :
 - Partie I : L’ère médiévale
 - Partie III : Fournir les précurseurs ne suffit plus / Voile et glucides font mauvais ménage / Le cas d’école du tryptophane
 - Partie IV : L’approche intégrée / Le cerveau poubelle / Le cerveau anticorps / Une fatigue irréductible

 

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